Cela faisait plus d'un an que je le connaissais. Pendant tout ce temps, personne ne voulait lui adresser la parole, ni l'approcher. Je ne comprenais pas. Il n'était pourtant pas si repoussant malgré son corps légèrement squelettique et ses énormes cernes sous les yeux. Moi, je l'avais toujours apprécié, lui et ses yeux gris perçants. Ce fut la première chose que je remarquai chez lui, lors de notre première rencontre...
C'était il y a donc un an, le jour où je demandai de me retirer de la chorale. Je n'avais plus envie de chanter devant tout le monde. D'habitude, plus on chantait devant un public, plus on prenait de l'assurance. Dans mon cas, c'était le contraire. Je me sentais de plus en plus mal à l'aise à force de chantonner. Je me présentai au bureau de la Mère Supérieure pour annoncer ma décision.
- En es-tu sûr, Valentin, me demanda-t-elle.
- Oui, je préfère arrêter. Je ne me sens plus de le faire.
- Je respecte ta décision, bien que je trouve cela un peu dommage, dit-elle en effaçant mon nom de la liste des choristes. Mais que veux-tu faire, alors ?
Je réfléchis tout en me frottant les mains, ça m'aidait à me concentrer. Je n'aimais pas beaucoup parler devant les autres, donc rester assis aux premiers bancs et lire des extraits bibliques ne m'intéressaient guère. Par contre, il paraissait qu'on avait besoin d'aide du côté des acolytes. Donc, je me proposai pour cette fonction. Je sortis du bureau quelques minutes plus tard et je me dirigeai vers l'église. J'avais envie de me recueillir. J'arrivai devant les portes et après les avoir ouvertes, je vis au loin deux silhouettes. C'étaient Eddy et Séraphin. Ils avaient l'air de parler de quelque chose de sérieux. Je m'approchai d'eux et raclai ma gorge pour leur signaler ma présence.
- Ah ! Tu étais là, Valentin, remarqua Eddy.
- Salut, s'exclama Séraphin.
- Salut, vous deux, répondis-je, je peux vous demander pourquoi vous êtes là ?
- On allait partir, on voulait juste discuter un peu, dit Eddy. On va te laisser.
Ils se levèrent et remirent en place leurs cols de chemises avant de se mettre en route vers leurs cellules. Quelques mètres plus loin, Eddy s'arrêta et se retourna.
- On se voit là où tu sais, vendredi ?
- Ah ! Oui. Oui, j'y serai, lui répondis-je.
Il me répondit d'un signe de main de loin. Je les vis ensuite s'éloigner lentement et ils disparurent dans l'obscurité qui entourait la porte la plus proche. Je soufflai un bon coup et m'assis sur le premier banc en face de l'autel. Je fermai les yeux et je respirai très calmement. J'écoutai le silence. Je pensai au moment où j'avais annoncé à la Mère Supérieur que je me retirais de la chorale. J'espérai que c'était la bonne solution. Je m'imaginai en tenue d'acolyte et je laissai échapper un léger rire. La tenue m'avait toujours fait pensé à une robe de fille...
Soudain, j'entendis un son fort et aigu. Celui-ci m'avait presque fait sursauté. Je me retournai et compris que ça venait de l'orgue sur l'espèce de large balcon en bois situé à l'étage au dessus au fond de l'église. Qui pouvait jouer de cet instrument à cette heure-ci ? Je me levai, me dirigea vers le fond et empruntai l'étroit escalier de pierre situé sur le côté. Je montai lentement l'escalier, quelque chose en moi me prévenait comme d'un danger à l'étage. Arrivé à la dernière marche, le son de l'orge était presque assourdissant, insupportable. J'avais l'impression que les seuls qui pouvaient rester là à écouter cette musique seraient ceux qui auraient adoré se rendre complètement sourds. Mais la curiosité m'avait déjà envahi, je voulais voir le visage de l'organiste. Il n'y avait plus qu'un mur qui nous séparait lorsque la musique s'arrêta brutalement, d'un seul coup. Je m'approchai à pas de loups et je vis pour la première fois l'orge de très près. C'était impressionnant tellement il y avait de touches. Les tuyaux étaient énormes et je n'imaginais même pas la mécanique de l'orgue tellement je pensais que le fonctionnement interne était complexe. Je tendis la main vers cet instrument déconcertant dans le but d'enfoncer juste une seule touche pour ressentir la sensation de jouer du plus gros instrument du monde. Tout à coup, j'entendis des pas derrière moi. Je me figeai, n'osant plus bouger un seul muscle. Les pas s'arrêtèrent et je sentis une présence juste derrière moi. Une sueur froide coula le long de mon dos. Je me décidai à me retourner très doucement, comme apeuré de connaître le visage de l'organiste mystérieux, dont la rumeur disait que personne ne put se souvenir du prénom. Je gardai les yeux baissés, je ne fit que fixer le sol des yeux pendant quelques secondes jusqu'à ce que je me force enfin à remonter mon regard de ses pieds jusqu'à son visage. Un malaise me prit soudainement. Devant moi, m'examinant d'un air méprisant, des yeux d'un gris argenté presque enfouis sous une masse de cheveux rouges et raides me fusillait du regard. Je me trouvais en face de l'organiste, la peur m'envahissait et je ne comprenais pas pourquoi. Pourquoi me faisait-il peur à ce point ? Etait-ce son air méprisable et en même temps sans vie ? Ses cernes noires sous ses yeux qui lui donnaient l'impression de n'avoir jamais dormi ? Ou était-ce simplement ce silence qui régnait...? Je raclai ma gorge et réussis à sortir une phrase plus ou moins complète :
- Je... désolé ! Je voulais juste... appuyer sur l'une des touches pour... pour...!
Sa manière de me regarder me déstabilisait totalement. Moi qui n'eus jamais de mal avec les mots, je ne pus m'empêcher de bégayer et d'hésiter sur les termes à employer devant lui. Je me grattai la nuque tout en me concentrant sur ce que j'allais lui dire mais ce jour-là, j'avais l'impression que je ne savais plus parler français correctement.
- Il est beau, ton... orgue. Hé hé... Hum ! Tu... tu joues bien... m-même très bien hein ! Heu... Ne... ne t'inquiète pas, je n'ai pas touché la... la touche ! Je... je...!
Son regard signifiait clairement qu'il me prenait pour un parfait abruti. Je commençai à chipoter à mon chapelet, n'ayant plus aucune idée de pouvoir lui parler. Je ne pus lui dire que ceci :
- Je ferais mieux de partir, hein...? Je... je m'en vais tout de suite, je vais arrêter de t'ennuyer.
Je savais qu'il me méprisait, cela se voyait tout de suite. Je me dirigea vers l'escalier mais il était placé juste au milieu du passage qui y menait. Le seul moyen de passer, c'était de se glisser entre le mur et lui.
- Pardon, dis-je en essayant de me faufiler dans le tout petit passage. Nos épaules durent se frôler pour pouvoir passer. Mon coeur battait la chamade tant j'étais proche de lui. Arrivé derrière lui, je lui lançai avant de m'enfuir en courrant :
- J'espère que tu joueras encore !
Mais pourquoi lui avais-je dit ça ? Bien sûr qu'il joueras encore, puisque c'est le seul pianiste et organiste de l'église ! C'était sa seule et unique fonction dans l'abbaye ! Sur ce coup-là, j'avais vraiment agi comme un sot...
Le lendemain matin, la messe commença plus tôt. Eddy et moi, nous commencions à enfiler les aubes dans la sacristie. Il m'aida à entourer le cordon autour de la taille et m'expliqua comment bien le fixer. Il me tapota sur les épaules en me disant : "Ca va aller." J'étais légèrement angoissé puisque c'était mon premier jour en tant qu'acolyte. La cloche de l'église sonna, ce qui nous invita à sortir de la sacristie et à suivre le prêtre près de l'autel. Celui-ci annonça en me désignant de la main :
- Mes enfants, votre ami ici présent a décidé de quitter la chorale pour devenir acolyte. Et de ce fait, il ne chantera plus pour l'église à partir d'aujourd'hui.
J'entendis une grande vague de "Oooh..." qui venait des choeurs et la voix que je perçus le mieux était celle de Séraphin dont la déception se lisait clairement sur son visage. Puis, les grandes portes du fond de l'église s'ouvrirent et un jeune homme fit son apparition. Un éclair me traversa lorsque je le reconnus. C'était lui. C'était l'organiste de la veille. Il passa devant nous, les acolytes, puis devant les choeurs et la Mère Supérieure et se tint immobile juste à côté du piano. La Mère Supérieure s'approcha de lui et lui fit signe de commencer à jouer. Il lui répondit par un signe de tête, se retourna pour ensuite s'installer à son clavier et arrangea ses partitions sur le pupitre. J'observai attentivement ses mains. Ses doigts si maigres s'élancèrent sur les touches tellement rapidement que j'eus du mal à suivre. Puis il ralentis et s'arrêta quelques instants pour pouvoir laisser le temps aux choristes de chanter les premières notes. Le reste de la chanson, il joua très lentement. Le son était magnifique mais je voyais qu'il n'y mettait pas tout son coeur. Je ne pus détacher mon regard de lui. J'avais envie de percer son quelconque secret. Soudain, je vis ses yeux dériver vers moi. Je fuis immédiatement son regard, gêné de l'avoir fixé autant. Je posai ma main sur mon visage pour éviter de lui montrer que j'étais mal à l'aise.
- Est-ce que ça va, Valentin, murmura Eddy à mon oreille.
- Heu... oui, ça va ! Pourquoi tu me demandes ça, lui répondis-je.
- Parce que tu es tout rouge.
J'ouvris de grands yeux étonnés et je me frottai le visage à coups de manche.
- C-c'est vrai, demandai-je en bégayant.
- Tu ressembles à une écrevisse, plaisanta-t-il en me souriant bêtement.
Je lui tirai la langue discrètement et je me forçai à regarder les choeurs. Mais c'était impossible ! La tentation d'observer l'organiste était trop grande. Je souhaitais au plus profond de moi que la messe soit vite finie pour ne plus à avoir à le dévisager ainsi.
Plus tard, pendant la nuit de jeudi à vendredi, le sommeil ne vint pas. Quelque chose m'empêchait de dormir. Peut-être était-ce dû au fait que je n'avais pas réussi à lui parler convenablement la dernière fois. Je fermai les yeux, attendant le sommeil, en vain.
Puis, j'entendis au loin un son familier. Il jouait ! Il était en train de jouer de l'orgue ! Je me levai d'un bond de mon lit, enfilai mes vieilles pantoufles et m'entourai d'une couverture grise. Je me sentais attiré par cette musique. J'avais envie de le voir, de lui parler, de régler mes comptes avec lui. Je traversai le couloir à pas de loup, entrai quelques minutes plus tard dans l'église et le son de l'orgue emplit mes oreilles. Je n'hésitai pas, j'escaladai les marches jusqu'au sommet. Je m'approchai doucement de l'orgue et je le vis, lui. Je n'étais plus qu'à quelques centimètres de lui. Je sentis mon coeur battre à nouveau la chamade, comme la dernière fois. Je n'eus pas le temps de dire un mot ou de faire le moindre geste, il se retourna hâtivement et me dévisagea, toujours avec cet air menaçant. Il aspira et expira bruyamment, des goûtes de sueur coulaient le long de son front. Je pus comprendre qu'il y avait mis tout son coeur, dans ce morceau, cette fois-là. Je pris mon courage à deux mains et me lançai :
- C'est très beau ! Continue !
Il continua à me regarder de la même façon pendant quelques secondes, sans me répondre, et se leva ensuite de son siège. Je voulais lui parler et je ne m'étais pas retenu.
- On voit que tu aimes jouer de l'orgue ou encore du piano ! C'est impressionnant comme tu es doué pour les deux instruments, lui dis-je précipitamment.
Il ne m'écoutait pas. Il se dirigea vers le mur le plus proche et s'y appuya.
- Excuse-moi de te poser cette question mais... est-ce que tu sais parler, lui demandai-je, un peu gêné.
Il me fixa avec ses petits yeux perçants et remit une mèche derrière son oreille. Pour la première fois, je vis ses lèvres bouger.
- Oui, me répondit-il.
Sa voix me fit sursauter, puis frissonner. Lorsque quelqu'un ne vous adresse pas la parole pendant un long moment et qu'il se remet à parler, cela vous fait un peu drôle. Je me remis à bégayer malgré moi.
- Ah ! C'est... c'est... bien. Hem ! Je... tu...
Tout à coup, il se remit correctement sur ses pieds et se rapprocha lentement de moi. J'avais l'impression que plus il s'approchait, plus mon visage virait au rouge. En tout cas, j'avais chaud et je me sentais mal à l'aise. Il pointa un doigt vers mon front et, pendant un court instant, j'inspirai exagérément.
- Intimidation, murmura-t-il.
- P-pardon, demandai-je en sentant une goûte de sueur le long de ma joue.
- Est-ce que je t'intimide ?
Je ne m'attendais pas à ce genre de question. J'avalai la salive coincée au fond de ma gorge et je répondis :
- Oui... enfin non ! Je... Hé ! Où tu vas ?
Il se retourna et se dirigea vers les escaliers.
- Je n'aime pas parler à des gars comme toi, me lança-t-il.
- Mais...!
Je l'attrapai au bras, il me repoussa violemment.
- Ne me touche pas ! Valentin !
Il me lança un regard rempli de colère et s'en alla. Je restai un moment fixe, comme choqué. Puis je me dis : "Bon, ça suffit pour cette nuit." et je sortis de l'église. J'arrivai à ma cellule plus vite que je ne le pensais et je me recouchai après avoir pris soin de fermer ma porte à clé. Je m'enveloppai de mes couvertures et fermai les yeux. Soudain, je me redressai brusquement et j'ouvris les yeux. Je me dis : "Mais...! Comment connaît-il mon nom ?! Je ne lui ai jamais dit pourtant !"
Le vendredi est une journée un peu spéciale pour les garçons de l'abbaye, tout comme le mardi. Pour cet évènement particulier, je rangeai dans un petit sac tout ce que j'avais besoin pour. Je sortis de l'abbaye où d'autres garçons attendaient déjà impatiemment. Parmi eux, il y avait Séraphin, Elie, Eddy, Patrick et Toma, comme d'habitude. Je les rejoignis en trottinant, tremblant d'excitation. La Mère Supérieure arriva et s'exprima :
- Bon, les garçons ! Vous avez une heure, pas plus ! Profitez-en bien, comme tous les vendredis et mardis et ne faites pas trop de bêtises !
Quelques uns pouffèrent. Les bêtises, ça nous connaissait ! Et comme nous étions jeunes, autant en profiter pour bien délirer une fois ou deux par semaine. Nous nous mettions donc en route vers les deux petites portes en bois qui donnaient accès au sous-sol, en dessous de l'église. Nous arrivâmes en bas des raides escaliers qui descendaient à la "cave" qui contenaient ce qu'on attendait depuis plusieurs jours : les douches ! Les douches forment une petite pièce faite de carrelage blanc devenu jaune avec le temps et les murs gris étaient fissurés à force de faire couler l'eau aussi longtemps. Même si le plafond était tapissé de toiles d'araignées et que quelques unes atterrissaient sur le sol et partageaient dans ce cas la douche avec nous, on s'en fichait. Les douches, c'était sacré ! C'était le seul et unique endroit où l'on pouvait faire toutes les gamineries qui nous passaient par la tête sans se soucier de l'arrivée de la Mère Supérieure. Nous prenions notre douche ensemble, ça consommait moins d'eau d'après la Mère Supérieure et ça rendait ce moment plus "fun" d'après nous. A peine arrivés aux vestiaires, nous enlevâmes tous nos vêtements d'un geste rapide et l'eau coulait déjà abondamment. Même l'eau glacée ne pouvait nous empêcher de sauter entre les quatre murs gris fissurés. Juste au moment où nous étions tous entrés, Elie s'écria :
- Bagarre de mousse !
Il piqua le gel douche de Séraphin et fit le coup de la fontaine avec le récipient. Nous nous sommes jeté sous le jet de savon, nous avions attendu que ça mousse et nous nous sommes bagarrés avec comme si notre vie en dépendait. Je précise que nous n'avons pas arrêté de hurler comme des macaques durant toute la bataille. Un peu plus tard, je fis une pause dans un coin et j'écoutai les différentes conversations à droite, à gauche. D'abord, celle de Patrick et de Toma ainsi qu'Elie qui s'était invité à la causette :
- Hé Toma, disait-il, il parait que t'es sorti avec deux filles un soir ! C'est vrai ?
- Ouais ! Mais ça n'a pas duré longtemps, elles me saoulaient à se disputer tout le temps, répondit Toma.
Je tiens à préciser que nous ne parlions comme ça uniquement lors de la douche et des vacances d'été.
- Remarque, je comprends un peu, se plaignit Patrick.
- Ne t'inquiète pas, Patrick ! Tu trouveras l'âme soeur un jour toi aussi, ne sois pas jaloux, lui murmura Toma.
- Je ne suis pas jaloux de toi, banane !
Ils se regardèrent tous les trois puis Elie s'approcha de Patrick pour le narguer.
- Non ! Tu veux dire que tu es jaloux des filles ? Est-ce que ça veut dire que t'es amoureux de To...?
Patrick saisit la serviette la plus proche et l'enroula comme pour faire un fouet.
- Si tu la boucles pas tout de suite, je te montrerai l'autre utilité d'un essuie.
- Ouh ! J'ai peur, nargua Elie.
Patrick se jeta presque sur Elie à coup de serviette et ça me fit bien rigoler pendant quelques secondes. De l'autre côté, je vis Eddy qui avait trouvé une autre idée stupide pour embêter Séraphin. Il tenait dans sa main un flacon de bain douche et le tendit bien en évidence au dessus de Séraphin, là où il ne pouvait pas l'atteindre.
- Rends-le moi, s'il te plait ! Aller, Eddy, entendis-je.
- Si tu le veux, il faut grandir, mon petit !
Il l'embêta quelques secondes avec ça, puis le lui rendis. Je les entendis rigoler ensemble. A ce propos, je n'avais pas pris mon savon avec moi dans la douche. Je sortis donc de l'enceinte des murs et je fouillai dans mon sac. Quelqu'un me surprit et je me levai, stupéfait. Devant moi, juste en face, l'organiste me regardait avec des yeux provocants. Il n'avait pas de vêtement, lui non plus, juste une serviette qui entourait sa taille, mais il n'était pas mouillé.
- Salut, fis-je.
Il ne me répondit pas.
- Pourquoi tu restes là ? Tu ne viens pas prendre ta douche avec nous, demandai-je.
- J'attends que vous partiez, répondit-il avec une lueur glacée dans le regard.
Je me levai, lui attrapa le poignet et l'emmena dans la salle des douches. Il se débattit en me donnant un coup sur la main.
- Qu'est-ce que je t'ai dit cette nuit ? Ne me touche pas !
- Allez, quoi ! Tu verras que ce sera plus marrant si tu prenais ta douche avec nous !
- Valentin, lâche-moi !
Je le lâchai. La phrase de la veille m'était revenue en tête : "Comment me connaît-il ?" Je me rapprochai de lui et fit d'un air intrigué :
- Comment ?
- Mm ?
- Comment connais-tu mon nom ?
Il avait l'air d'hésiter un instant, puis respira profondément avant de me répondre :
- Ca, ça ne regarde que moi. Maintenant, laisse-moi. Je n'ai pas envie de me mêler à cette bande de ploucs.
Je ne l'écoutais plus. Je l'emmenai sous la douche où soudainement, les autres se retournèrent et ne dirent plus un mot. Elie s'approcha de l'organiste et l'examina du regard. Puis, il se tourna vers moi.
- Je te félicite, Valentin, dit-il, d'avoir réussi à amener cette tête de mule avec toi.
Il tourna la tête vers mon ami et s'écria :
- Ca roule, la Goule ?
C'en était trop. Je sentis une énorme colère me monter à la tête. Il n'avait pas le droit de s'en prendre à lui comme ça.
- Mais vous allez arrêter, oui ! Il ne s'appelle pas la Goule ou tout autre surnom débile ! Il s'appelle...! Il s'appelle...
Je me sentis tout à coup un peu gêné. Je ne connaissais même pas son prénom. Je me penchai vers lui et lui demandai à voix basse :
- Comment tu t'appelles, au fait ?
Il me répondit avec la même intonation que je n'avais pas besoin de le savoir. J'insistai et entre le bruit de l'eau qui coulait et les murmures des autres, j'entendis ceci "...en-sébasti..."
- Quoi ?
- Jean-Sébastien, saisis-je plus clairement.
Je me retournai vers les autres et annonçai non sans une extrême fierté :
- Il s'appelle Jean-Sébastien !
Les autres pouffèrent, je ne compris pas pourquoi. Elie fixa Jean-Sébastien dans les yeux et annonça :
- Moi, je n'ai pas envie de l'appeler comme ça ! En ce qui me concerne, je l'appellerai toujours la Goule !
- Elie, fit remarquer Patrick, c'est comme si on t'appelait "le plus gros cas désespéré" à longueur de journée.
- Je t'ai parlé, à toi, s'énerva Elie.
Eddy se plaça au milieu du groupe qui s'était mis en cercle et dit :
- On ne va pas commencer à se disputer, quand même ! Valentin, viens avec moi. Je dois te parler.
Il m'entraîna vers un coin isolé de la douche et commença à m'expliquer la situation :
- Ecoute, Valentin, je ne crois pas que l'on soit prêt à l'accueillir dans notre groupe comme toi tu l'espérais. Vois-tu, dans notre équipe, nous nous connaissons depuis au moins cinq ans et lui... enfin, tu ne peux pas l'amener ici et espérer qu'il soit l'un des nôtres dès le début alors que nous ne savions rien de lui. Tu comprends ?
- Je crois... Mais il faut lui laisser une chance, hein !
- Bien sûr, bien sûr.
Nous retournâmes vers le groupe et Eddy annonça :
- C'est bon, c'est arrangé ! Jean-Sébastien ici présent peut rester avec nous, mais il va falloir qu'il fasse ses preuves au sain du groupe s'il veut être totalement accepté.
Un silence de mort régna pendant un instant. Elie souffla bruyamment, attrapa Jean-Sébastien par les épaules et lui donna une énorme claque sur le dos. Je crus que celui-ci allait s'étouffer.
- T'inquiète, mon gars ! Je suis prêt à devenir ton pote ! Même si t'as un corps squelettique et que tu me fais penser à un zombie !
Jean-Sébastien le fixa d'un regard très noir, ce qui fit reculer Elie de quelques centimètres. Puis celui-ci s'écria :
- Bon ! On se la refait cette bataille de mousse ?
- Au fait, répondit Patrick en enroulant à nouveau son essuie, tu oublies que je dois toujours te refaire le portrait !
Il se jeta à nouveau sur Elie et tout le monde explosa de rire en voyant Patrick s'acharner sur l'autre avec une simple serviette. Tous, sauf Jean-Sébastien. Je m'approchai de lui et lui demandai :
- Tout va bien ?
- Valentin.
- Oui ?
- Tu aimes tant que ça ma musique ?
Je ne réagis pas sur le coup, puis je fis le sourire le plus grand et le plus niais de tous les temps.
- Oh oui ! J'adore lorsque tu joues ! Pourquoi ?
- A l'occasion, je jouerais un morceau pour toi.
- Vraiment ?
- Oui, si c'est un moyen pour que tu me fiches enfin la paix.
Je ne répondis pas. J'étais juste content, malgré cette réponse peu agréable. Il s'éloigna, je continuai à sourire bêtement. J'avais fait un pas vers lui, et j'en étais entièrement satisfait.